Une charogne -director's cut - Charles Baudelaire
Baudelaire, c’est un poète moderne. Mais attention, je te vois venir, la modernité c’est pas être à la mode, c’est pas froufrous et vestes Gucci. Baudelaire définit lui-même ce qu’est la modernité: “La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable”. L'œuvre du poète, c’est donc de dégager de son époque, du transitoire, du périssable (voire du pourri), l’éternel, le beau et le poétique. En cela, Une charogne, est un poème résolument moderne: il tire du périssable et du laid (la charogne), le beau et l’éternel (“l’essence divine de mes amours décomposés”)
Car pour Baudelaire, tout est ambivalent: le beau et le laid coexistent. Il le répète à longueur de ligne: “il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid (...) que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui peut y être contenue”. C’est là qu’est le travail d’alchimiste du poète: à lui de procéder à cette extraction du beau dans le laid, de l’éternel dans le transitoire. Donc grave-toi bien ça dans ta tête: le beau ne va jamais sans le laid, et inversement. Tout est ambivalent.
Même la figure de la femme est ambivalente. Il suffit pour toi de lire le poème juste avant et celui juste après: dans Le Serpent qui danse (juste avant Une charogne), la femme est séductrice à se damner (c’est la jeunesse, la tentation), dans De Profundis Clamavi (juste après) c’est la supplique à l’etre aimé depuis les Enfers (c’est la mort). Dans Une charogne, c’est un soliloque à destination de l’amante pour lui rappeler sa finitude (c’est l'âge mûr et le rappel de la vieillesse). Une charogne s’inscrit donc dans un cycle au sein des Fleurs du Mal (en règle générale, c’est toujours le cas, donc si tu peux, essaie de lire le poème juste avant et juste après pour faire ton commentaire).
Et pourtant, au creux de toute cette modernité provocatrice des Fleurs du Mal, le recueil de Baudelaire s’inscrit dans la longue tradition poétique de la littérature. Dans Une charogne, cela tient à la morale du poème: memento mori, souviens-toi que tu es mortelle, car toi aussi, si belle et si moderne, demain tu seras une charogne et une carcasse, toi aussi tu iras nourrir les vers de terre… et du poète ;) Car pour Baudelaire, tout est ambivalent: le beau et le laid coexistent. Il le répète à longueur de ligne: “il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid (...) que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui peut y être contenue”. C’est là qu’est le travail d’alchimiste du poète: à lui de procéder à cette extraction du beau dans le laid, de l’éternel dans le transitoire. Donc grave-toi bien ça dans ta tête: le beau ne va jamais sans le laid, et inversement. Tout est ambivalent.
Même la figure de la femme est ambivalente. Il suffit pour toi de lire le poème juste avant et celui juste après: dans Le Serpent qui danse (juste avant Une charogne), la femme est séductrice à se damner (c’est la jeunesse, la tentation), dans De Profundis Clamavi (juste après) c’est la supplique à l’etre aimé depuis les Enfers (c’est la mort). Dans Une charogne, c’est un soliloque à destination de l’amante pour lui rappeler sa finitude (c’est l'âge mûr et le rappel de la vieillesse). Une charogne s’inscrit donc dans un cycle au sein des Fleurs du Mal (en règle générale, c’est toujours le cas, donc si tu peux, essaie de lire le poème juste avant et juste après pour faire ton commentaire).
Et pourtant, au creux de toute cette modernité provocatrice des Fleurs du Mal, le recueil de Baudelaire s’inscrit dans la longue tradition poétique de la littérature. Dans Une charogne, cela tient à la morale du poème: memento mori, souviens-toi que tu es mortelle, car toi aussi, si belle et si moderne, demain tu seras une charogne et une carcasse, toi aussi tu iras nourrir les vers de terre… et du poète ;)

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Une charogne -director's cut - Charles Baudelaire
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

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Une charogne -director's cut - Charles Baudelaire
I.Eros et thanatos
(couple de divinités grecques : eros = amour et thanatos = mort ; association fréquente entre les deux, notamment dans la psychanalyse moderne de Freud)
Dans un premier temps, le poème joue sur les codes de la poésie amoureuse pour renforcer d’autant plus la vision perturbante de la charogne, morbide et dégoutante.
1.Idylle
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Ainsi la première strophe présente les traits d’une idylle amoureuse traditionnelle mais aussitôt entravée par l’élément perturbateur de la charogne.
-d’emblée énonciation avec 2ème pers. pluriel + apostrophe méliorative “mon âme” + mention d’un passé commun (amorce d’un récit avec passé simple “vîmes”)
→ tête-à-tête typique d’une poésie amoureuse traditionnelle
QUI PLUS EST : courtoisie du vouvoiement + préciosité du mot “âme” mis en valeur par l’incise (=entre virgules) en fin de vers + douceur des échos sonores (“nous vîmes, mon âme”) → image d’un amour idéal, spirituel et raffiné
PAR AILLEURS :
Contexte bucolique (=lié à une Nature bienfaisante et propice aux sentiments amoureux, en référence à un certain genre poétique latin) du v.2
→ qualification méliorative double “beau”, “doux” avec renfort de l’intensif “si”
+ allitération des dentales [t] et [d] : impressions chatoyantes de gaieté légère
MAIS :
Présence problématique d’un élément perturbateur…
-1 : v.1 indétermination de la périphrase “l’objet que nous vîmes” créant un effet d’attente (amplifié à vrai dire par le titre même du poème…)
-2 : v.3 CCLieu intercalé retardant la révélation de la “charogne” avec idée du “détour” renforçant l’impression d’inattendu et de surprise
+ élément en rupture avec l’ambiance idyllique : teneur péjorative de “charogne infâme” renforcée par la rime avec “mon âme” jouant sur le contraste
+ rallongement sur la fin du vers = lourdeur de la vision qui interrompt la ballade
-3 : v4 CCLieu métaphorique associant étrangement confort du “lit” et inconfort des “cailloux” → comme si les choses dysfonctionnaient (désordre naissant)
+ implicitement présence de la “charogne” en plein milieu du chemin, qui bloque la progression des amants donc → 8 strophes suivantes = fascination obsessionnelle
La charogne s’impose donc, désorientant les amants et laissant affleurer en leur vie un désordre de plus en plus angoissant.
2. Viande crue
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
De fait très vite la charogne prend une dimension symbolique où la putréfaction physique devient l’image de la corruption morale.
DE LÀ :
basculement soudain de l’idylle dans le morbide → analogie de la “femme lubrique”!
CAR : lien entre la corruption physique et celle morale, renvoyant au désir charnel
-Métamorphose qui s’opère progressivement dans l’intervalle séparant le sujet “charogne” au v.3 et verbe “ouvrait” au v.4…
-1 : métaphore du lit : lieu d’intimité érotique
-2 : CCManière “les jambes en l’air” permettant la comparaison explicite
-3 : signes de chaleurs créant un lien entre le désir érotique et la maladie morbide (“brûlante” évoque aussi la fièvre + “suant les poisons” avec idée de mort renforcée par l’emploi du pluriel)
-4 : CCManière avec attributs psychologiques et moraux, “nonchalante et cynique” projetés sur la “charogne” morte
-5 : summum du morbide, au v.8 car le ventre féminin est le lieu de la maternité / ici “plein d’exhalaisons”, odeurs pestilentielles de décomposition (pluriel)
→ lien très fort entre la corruption morale et la dégradation physique, avec une mouvement analogique où la beauté féminine se renverse en mal absolu!
QUI PLUS EST :
-Suspension du récit avec le passage du passé simple à l’imparfait
+ emploi de participes présents (action qui se prolonge indéfiniment dans le temps)
→ comme si la vision de la “charogne” stoppait le temps au fil de sa description
¿ arrêt sur image qui témoigne d’une fascination obsessionnelle du poète**?**
→ lien avec l’esthétique de Baudelaire, prenant goût à la peinture du morbide
Alors le regard du poète se perd en cette contemplation que nourrit une fascination certaine pour le mal et le morbide.
3. Hermès inconnu
En référence à la désignation de la Nature dans “Alchimie de la douleur”, sorte de divinité gardienne des secrets d’une alchimie universelle!
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Pourtant se fait peu à peu à jour une métamorphose nouvelle, touchant à une harmonie cosmique universelle, celle du cycle de vie et de mort.
-Elargissement du regard intégrant à présent “le soleil” et “le ciel”
→ personnification de plus en plus évidentes…
-1 : comparaison manifestant l’idée d’une intention renforcé par la trivialité de l’expression “cuire à point” qu’on retrouve en gastronomie
-2 : prolongement de la comparaison débouchant sur l’allégorie “la grande Nature” avec idée d’une transaction dans l’expression “rendre au centuple” + artisan de la vie organique avec l’action de “joindre” pour former des corps
-3 : personnification manifeste du “ciel” qui “regardait” (= surplomber)
→ image d’un cycle naturel, de vie et de mort, qui constitue comme une intelligence supérieure et universelle, une sagesse divine
D’OÙ :
-Rachat de la “charogne” après l’image du mal dans la strophe 2
-1 : métonymie (désignation du tout par un élément en lien avec le tout) péjorative encore au v.9 “cette pourriture” (la “charogne” est sujet à la pourriture)
-2 : évocation du cycle biologique avec le v.12 : plus-que-parfait renvoyant à la vie passée de la bête + action de “joindre” renvoyant à l’organisme vivant.
→ valeur de la mort qui enrichit la vie: hyperbole “au centuple”
-3 : oxymore “carcasse superbe” alliant admiration et répulsion + comparaison avec le floraison “comme une fleur s’épanouir” :
PARADOXE : le morbide devient l’image de la vie renaissante!
(→ titre du recueil, mais sur le plan de la Nature et non de la création artistique…)
ALORS :
-Divergence avec la femme aimée : retour au péjoratif avec “la puanteur” amorçant une conjonctive de conséquence “si forte que…” → exagération hyperbolique?
SURTOUT : au moment où le poète voit le rachat de la “charogne” (mouvement ascendant et mélioratif de floraison), son aimée accroît l’impression de dégoût
→ mouvement descendant et dégouté avec la chute de l’évanouissement, renforcée par le CCLieu “sur l’herbe” antéposé et mis en valeur à la fin du v.15.
Ici mention légèrement ironique du poète qui se considère plus clairvoyant?
Ainsi le poète, contrairement à sa bien-aimée, touche à une sagesse occulte liée aux secrets d’une Nature alchimiste transmutant les êtres-vivants.
II. Alchimie
S’ouvre alors un domaine interdit où le pressentiment d’une corruption charnelle symbolisée par la charogne révèle le mouvement de la vie même!
1. Le mal
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Après la corruption morale, c’est donc au coeur d’une pourriture organique qu’il faut plonger le regard pour puiser contre toute attente un souffle nouveau.
ALORS :
Rapprochement au plus près de la “charogne” : détails des insectes dont le mouvement vital s’empare du vers poétique!
→ strophe 5 = 1 phrase dont le prolongement est mimétique de l’infestation
-1 : mention du pluriel collectif “mouches” au v.17
-2 : enjambement de v.18 et 19 au coeur du GN ‘“de noirs bataillons / de larves”
+ métaphore militaire pour accentuer l’idée de masse indistincte
-3 : métaphore verbale “coulaient” rehaussée par la comparaison “un épais liquide” → vision repoussante liée au putride et au gluant…
+ allitération en [l] entre v.18 et 20 = écho de l’écoulement
-4 : oxymore alliant le dénuement (“haillons” = vêtements en lambeaux et misérables) et la force (“vivants”) pour désigner la “charogne”
→ renaissance par-delà la mort sous la forme d’infestations
PLUS ENCORE :
Véritable explosion des sens quoiqu’ambigüe avec des sensations désagréables
→ “putride” : idée de décomposition et donc d’odeur de putréfaction
→ “bourdonnaient” : son entêtant
→ jeu de couleurs entre le “noirs” des bataillons mais la vision du blanc auquel renvoient les “larves”, à cheval sur l’enjambement
→ évocation tactile dans la mention de “l’épais liquide”
ET DONC :
Richesse de la vision qui culmine dans l’évocation poétique finale, et ses analogies
-”Tout cela” : pronom résomptif (reprenant tout ce qui a été dit auparavant)
→ passage des collectifs pluriels, éparpillés, à une unité forte et vivante
+ rythme binaire sans liaison (asyndète) “descendait, montait” évocatoire de la respiration, comme si la bête reprenait vie
MAIS : comparaison avec “une vague” prolongé par le v. 22 suggérant l’image d’une écume marine (“en pétillant” = bulles)
-Modalisation “On eût dit que…” marquant l’implication du poète en quête de l’expression juste la plus parlante
DÈS LORS : résurrection miraculeuse!
→ la “charogne” a paradoxalement pour image “le corps” vivant, avec allusion explicite à la respiration au v. 23 + verbe “vivre” renforcé avec “en se multipliant”
+ rimes riches jouant sur les homonymes “vague”, nom et adj → alliance des éléments, l’air du “souffle”, l’eau de la “vague” et la matière du “corps” liée à la terre
=> union des contraires et complémentarité des éléments, transcrivant au coeur de la langue, en jouant sur les sens lexicaux, le miracle alchimique naturel!
Ainsi dans la putrescence morbide surgit l’élan d’une vie nouvelle, une résurrection miraculeuse proprement alchimique!
2. Les fleurs
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Mais ce mouvement se prolonge encore et, au-delà de la vie terrestre, c’est vers le pur Idéal qu’il transporte le poète au bout du cheminement.
AINSI :
-par-delà la pourriture repoussante, l’intuition d’un Idéal accessible à l’art : passage du péjoratif “ce ventre putride” à la suggestion d’une infinie richesse de “ce monde”
+ introduction d’une dimension artistique avec “une étrange musique” :
“étrange” = bizarre en raison du contraste étonnant mais aussi =étranger, qui vient d’ailleurs, d’un monde céleste dont le terrestre n’est que l’image corrompue?
CAR : avec le son, disparition de la matière corrompue et péjorative
→ comparaison du v.26: alliance renouvelée des éléments liquides (“l’eau courante”) et aériens (“le vent”) mais détachée du corps, c-à-d de la matière terrestre contrairement au v.23 -intuition d’une pure harmonie donc!
PLUS ENCORE : introduction d’un agent humain au v.28 :
→ évocation de l’esprit divin présidant à l’harmonie universelle?
→ évocation d’un esprit humain, celui du poète spécialiste du “mouvement rythmique” au travers du médium poétique versifié!
ALORS :
-Prolongement : l’harmonie propre au cycle de vie et de mort devient quête d’un Idéal évanescent
Déjà de la matière putrescente → “les formes” immatérielles donc
DE PLUS : verbe “effaçaient” = idée de perte et la négation exceptive “n’étaient plus qu’...” + dimension irréelle du “rêve” ou non réalisée dans “ébauche”
→ idée d’évanescence, d’une pureté tellement immatérielle qu’elle paraît proche de la disparition complète!
DE LÀ :
-Métaphore filée de la toile en cours de création, d’où des étapes marquées :
-1 : lenteur du travail au v.32 ouvrant sur le futur avec la locution “à venir”
-2 : oubli complet au v.33 entravant la création présente
→ “achève” au présent isolée de ses compléments par l’enjambement, comme un instant final qui se prolonge éternellement
-3 : restriction du “seulement” et basculement dans le souvenir au v.32
→ dimension passée de ce qui n’a jamais été du présent = éternité de l’Idéal
= ce qui est toujours déjà mais jamais présent
Ainsi l’Idéal se présente sur le mode de l’évanescence, où il semble à peine réel, s’accomplissant dans l’éternité.
III. Retour sur terre
1. Chienne de vie
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
Or cet Idéal évanescent ne peut se maintenir sans que la vie terrestre et ses aspirations basses ne reprennent le dessus sous les traits d’une chienne affamée.
TOUTEFOIS :
-interruption brusque de la vision idéale et retour au récit, avec la chienne.
→ CCLieu “derrière les rochers” + verbe “épiant” : animal embusqué qui se cache
→ voracité dans l’attitude entièrement absorbée par “le morceau” du v.36
→ déséquilibre de la versification ( / régularité de la strophe précédente) avec enjambements : v.33 à v.34, entre sujet et verbe + v.35 à v.36 entre verbe et COD
// empressement de l’animal impatient d’approcher à nouveau et s’agite?
→ caractérisation personnifiante avec attributs psychologiques “inquiète” et “fâché”
ET DONC : animal symbolique de la concupiscence (=plaisir charnel) terrestre, du désir pervers qui veut goûter à la corruption morale
CAR :
**-**contemplation du couple curieux et vision idéale au fil de la transfiguration poétique
→ qu’un contretemps frustrant pour le vice qui s’est interrompu un temps, dans l’attente de reprendre son cours, d’où le lien entre avenir (“épiant le moment” dans le futur) et passé (plus-que-parfait “avait lâché”)
le cheminement vers l’Idéal en sa pureté évanescente ne fait qu’arracher temporairement au vice terrestre et à sa fascination pour la chair et ses corruptions
DE FAIT : à rebours de cette jouissance poétique qui n’est que spirituelle,
→ vice = désir de concret, “le morceau”, soutiré à la mort même, “le squelette”
Cette chienne, amorçant le retour au récit et à sa réalité, est symbolique du vice dont ne triomphe jamais vraiment l’aspiration spirituelle à l’Idéal…
2. Memento mori
“Souviens-toi que tu vas mourir” - formule latine liée aux philosophies morales prônant la méditation de sa condition de mortel pour mieux estimer sa vie.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
D’où la mise au point du poète au terme de cette expérience initiatique : l’amour à son tour doit se plier aux transmutations de cette sordide alchimie!
SOUDAIN :
Rupture forte dans la poésie de Baudelaire : un tiret, redoublé par les mots de liaisons “et pourtant” marquant l’opposition
+ retour au contexte présent d’énonciation, clôturant le récit du souvenir initié au v.1
D’OÙ : dimension du futur, de l’analepse (flashback du souvenir) à la prolepse (flashforward de la prophétie)!
OR :
Comparaison violente et insistante entre la “charogne” et la femme aimée :
-reformulation avec de termes péjoratifs “à cette ordure / à cette horrible infection”
+ métonymie (la carcasse peut être source d’infection mais n’est pas “infection” en tant que telle…) soulignant l’idée de maladie et de mort
MAIS : balancement antithétique avec l’énumération de périphrases amoureuses et précieuse en apostrophe du v.39 et 40
-1: lien amoureux fort dans le parallélisme du v.39 associant étroitement l’être aimé et le poète amant (marques possessives pour accentuer l’idée de dépendance)
-2: rythme ternaire explosif avec exclamative et pronom tonique (“vous”)
DE PLUS :
Réaffirmation de la comparaison, mêlant le mal charnel et la beauté féminine:
-interjection exclamative, et reprise lapidaire (=très brève) “telle vous serez”, comme pour resserrer l’association encore un peu plus… → renversement :
-1 : apostrophe emphatique et hyperbolique “ô la reine des grâces” méliorative
-2 : CCTemps “après les derniers sacrements” + CCLieu pour l’enterrement
-3 : allusion explicite à la décomposition ultime au v.44
→ mouvement de chute, de la grâce à la pourriture, de l’étoile céleste aux os pourris, comme pour rabaisser l’autre, “la mettre plus bas que terre” (=humilier).
La femme aimée est à la fois célébrée par la parole précieuse du poète mais aussi rabaissée par sa lucidité prophétique.
3. Poésie
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
De fait, seule la beauté que porte la création artistique, en l’occurrence poétique, peut s’arracher à ce sentiment de corruption et de putréfaction fatal.
CEPENDANT :
Comme une morale du poème ramassée à la fin :
→ adv “Alors” marquant la projection dans ce futur prophétique de la mort
→ impératif “dites” marquant l’enseignement du poète
→ affirmation inédite jusqu’alors du “je” poétique
DONC :
Célébration ambigüe de la femme :
-1 : apostrophe emphatique et exclamative mélioratif au v.45
-2 : alliance oxymorique de la “vermine” et de l’amour avec “mangera de baisers”
→ image d’une beauté qui ne parvient pas à échapper à la corruption de la matière, promise à la mort…
MAIS :
Affirmation de la beauté artistique, fruit du regard du poète
→ rythme binaire “la forme et l’essence divine” en lien avec l’idéal du v.31
+ enjambement du CDN “de mes amours décomposés, marquant la démarcation entre ces deux beautés, la chair corruptible et la forme éternelle!
+ emploi du passé composé dans un contexte futur pourtant : intemporalité, déjà présente dans le v.32, d’une éternité qui a toujours été…
Somme toute, à partir du contexte amoureux et de la vision méditative de la charogne, le poète en vient à rendre hommage à sa quête esthétique d’une Beauté éternelle et idéale qui seule peut préserver quelque chose face à une corruption toujours triomphante.

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