Les Regrets, XXIX - Joachim Du Bellay
Au XVIème siècle en France, c’est la Renaissance, on redécouvre l’Antiquité : la langue du swag c’est le latin. Tous les grands textes, la littérature, la poésie, les cours à la fac, tout, absolument tout est dit et écrit en latin. C’est que dans toutes les régions on parle du patois : provençal, gascon, lorrain, etc. C’est Bienvenue chez les Ch’tis !
Sauf qu’en 1539, le Roi François Ier, ce bogoss, il édicte l’ordonnance de Villers-Cotterêts : c’est un texte de loi qui dit que le français devient la seule langue administrative autorisée pour tous les textes officiels dans le royaume. BOUM ! Et pour défendre la langue française, il y a un groupe de slameurs : la Pléiade. Du Bellay a même écrit un essai sur La Défense et illustration de la langue française.

Du Bellay, doit partir en 1553 à Rome pour une longue période. Là-bas, la France lui manque, il a pas le moral, il veut rentrer. C’est pour ça que son recueil de poèmes s’appelle Les Regrets : il regrette la France.
Ce recueil est constitué de 191 sonnets tous en alexandrins. Facile pour toi : si tu tombes sur un poème des Regrets, tu sais déjà quoi dire pour la forme du texte ! Le sonnet c’est un peu toujours la même chose : quatorze vers (8+6 vers = 14) composant deux quatrains (donc 2x4 vers) et deux tercets (donc 2x3 vers). C’est une forme qui vient d’Italie, inventée par Pétrarque, le king du slam au XIVème siècle. Et le sonnet, en poésie, c’est hyper important : c’est une forme qui est encore utilisée aujourd’hui ! Donc dès que tu vois un poème en 14 vers, tu dois avoir le réflexe sonnet.

Généralement, dans un sonnet classique, on est assez lyrique et on parle de sujets un peu persos, voire amoureux. Ce qui est intéressant dans ce sonnet 29 des Regrets, c’est qu’en fait ce n’est pas du tout ça. Bien au contraire, c’est une sorte de sonnet moralisateur qui reprend une vieille leçon de l’Antiquité : il faut être modéré dans son comportement. Genre, faut pas que ce soit la teuf tous les jours, mais faut pas non plus déprimer grave. Et surtout : à chaque âge suffit sa peine.


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Les Regrets, XXIX - Joachim Du Bellay
Je hais plus que la mort un jeune casanier,
Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de fête,
Et craignant plus le jour qu'une sauvage bête,
Se fait en sa maison lui-même prisonnier.
Mais je ne puis aimer un vieillard voyager,
Qui court deçà delà, et jamais ne s'arrête,
Ainsi des pieds moins léger que léger de la tête,
Ne séjourne jamais non plus qu'un messager,
L'un sans se travailler en sûreté demeure,
L'autre, qui n'a repos jusques à tant qu'il meure,
Traverse nuit et jour mille lieux dangereux :
L'un passe riche et sot heureusement sa vie,
L'autre, plus souffreteux qu'un pauvre qui mendie,
S'acquiert en voyageant un savoir malheureux.

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Les Regrets, XXIX - Joachim Du Bellay
I. Deux figures antithétiques
1. Structures parallèles
Jeu constant d'opposition binaire, renforcé par la forme métrique du sonnet -alternance de deux quatrains qui met en opposition les deux portraits tout en les associant par les rimes, puis confrontation dans les deux tercets (à valeur conclusive généralement) ; décalque des structures syntaxiques d'un quatrain à l'autre -formulation d'un jugement personnel au premier vers sur un archétype (« un jeune casanier »/« un vieillard voyager », hémistiches de même longueur), puis 3 vers = relative complément ; figure de balancement « l'un »/« l'autre », sorte d'anaphore dans les tercets.
2. Enfermement
D'où une caractérisation antithétique marquée : contradiction au cœur de la 1ère figure, entre jeunesse et enfermement -paradoxe du prisonnier avec formule réfléchie et insistante (« lui-même ») ; l'inculture est le propre de cet enfermement -le réfléchi « sans se travailler » renvoie à l'absence de souci mais aussi au manque d'expérience ; régression en deçà de l'animal -comparatif à valeur hyperbolique (vers 3), avec connotation métaphorique de l'obscurité ; dès lors des valeurs positives (richesse, sécurité, bonheur) qui se renverse en traits négatifs (sottise, insignifiance) -opposition des tercets « demeure »/« passe », comme une équivalence car cette vie est sans valeur.
3. Errance
Même principe de contradiction entre vieillesse et découverte -chiasme avec antanaclase sur « léger » où la mobilité réelle glisse dans le manque de sagesse, à rebours de l'image courante du vieillard ; cette légèreté devient gratuité, absurdité -figure de renvoi « deçà delà » ou « nuit et jour » et hyperbole « mille lieux » comme un cumul dénué de sens, souligné a contrario par la comparaison avec le « messager » qui lui a une fonction ; tourne en rond, suggéré par la forme du chiasme ; d'où une souffrance infinie -mention des dangers (vers 11), hyperbole (vers 13) et négativité du gain (repos = mort, savoir acquis = malheur).
II. Casuistique du voyage
1. Le juge arbitre
Dans le sonnet le poète développe une position d'arbitre : affirmation directe du « je » qui énonce un double jugement, avec les deux principales des quatrains ; subjectivité soulignée par l'hyperbole du vers 1, pour montrer la véhémence, et la concession du vers 5 -avec le connecteur « mais » et la formulation négative en forme de litote- comme une sympathie relative ; positionnement implicite dans la disparition des marques du « je » avec les tercets - renvoi dos à dos des deux figures antithétiques.
2. Eloge de la modération
Par ce jeu de balancement et cette situation d'arbitre intermédiaire, définition d'une morale fondée sur la médiocrité -notion aristotélicienne, grecque, recherchant la juste mesure dans un compromis intermédiaire entre deux extrêmes, deux opposés : les extrêmes sont marqués par les hyperboles et les négations fortes (en particulier « jamais » catégorique) -deux positions radicales ; ambivalence pour autant avec valeurs positives de la sécurité pour le 1er et du savoir pour le 2er, associées à des traits négatifs.
3. Valeur initiatique du voyage
Toutefois partialité de Du Bellay -en faveur du vieillard et du voyage (litote du 2ème quatrain, partage inégal des tercets, marques pathétiques du portrait) : en réalité valeur en soi du voyage positive -idéal de culture (emploi des réfléchis, « se fait », « se travailler ») opposé à l'animalité sauvage, d'où la supériorité relative du vieillard ; ici critique d'un contretemps (jeunesse=période initiatique qui justifie les voyages ; vieillesse=période de sagesse et donc de repos et sérénité) ; vision optimiste propre à l'humaniste
Voire sens pessimiste avec le « savoir malheureux » qu'on peut rattacher à l'expérience propre de Du Bellay.

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