"Mille pardons!" ou l''histoire sentimentale - Gustave Flaubert
L’Education sentimentale, c’est un roman qui se passe entre 1840 et 1867. Tu le sais peut-être pas, mais c’est un temps fort de la France, où l’on va aller de révolutions en révolutions, hésitant entre la monarchie, la république et l’empire. Bref, c’est les gilets jaunes tous les mois.
C’est un roman d’apprentissage, sans doute inspiré par la vie de Flaubert lui-même : d’où le titre « Education sentimentale ». Apprentissage, car Frédéric va évoluer dans cette société, aller d’espoirs en mésaventures, de succès en échec. Pour la faire simple, Frédo il est en mode ascension sociale de ouf (comme Juju Sorel dans le Rouge et le Noir) : « POUSSEZ VOUS LES BIATCHS C'EST FREDO QUI DEBARQUE !!!!! ». Puis il va se rendre compte que sa life elle est pas ouf et que la période qu’il vit, historiquement, c’est GTA V et cramage de pneus à toutes les rues.
Flaubert, il est assez méchant et cynique. Il aime bien se prendre des barres avec ses héros, qui sont souvent bien minables et des gros nazes. Si bien que Frédo, il est complètement à l’ouest et il en a rien à battre de ce qui se passe : c’est la distinction entre la grande Histoire et sa petite histoire à lui (petite histoire assez minable).
MEGA SPOIL !! Le Frédo c’est quand même un gros loser in fine : à la fin du roman, 16 ans après, quand Marie Arnoult elle s’offre enfin à lui, elle découvre son chapeau, et y a une mèche de cheveux blanc. Frédo il est dèg’, il se dit « mince… elle est devenue vieille en fait… Bah non, déso, on couchera pas ». Assez minable. !! FIN DU SPOIL !!
Attention, ça ne veut pas dire que Flaubert il fait du mauvais boulot. Bien au contraire : la description de ses persos est hyper fine et travaillée. C’est juste que globalement, ce sont souvent des gros boulets ou des nuls.
Mais Flaubert, lui, c’est un king, un Dieu du roman. Retiens bien ça : il passe son temps à jongler entre les points de vue et les registres de discours (direct, indirect et indirect libre : il surkiffe l’indirect libre d’ailleurs). Indirect libre, ça veut dire qu’il écrit comme de l’indirect (donc t’as l’impression que c’est le narrateur qui parle) mais qu’en fait c’est du direct (parce que c’est son personnage qui parle). Exemple :
Frédéric dit : « bordel, y a masse de monde dans la rue. J’arrive pas à avancer, y a trop de people, faut que je me tire » (discours direct, les paroles sont retranscrites telles quelles).
Frédéric pensait que la rue était pleine de monde et qu'il était difficile de s’y déplacer (discours indirect: la même chose que le direct mais rapportée).
La rue était si encombrée qu’il était impossible de s’y mouvoir au point que ce monde aurait fait renoncer n’importe qui et qu’il était vraiment temps de s’en aller (discours indirect libre : tu vois qu’il y a une coloration qui correspond à ce que ressent Frédéric et qu’en fait, subtilement, ce n’est plus le narrateur qui parle, mais bien le personnage).
Bon ok, c’est chaud de voir tout ça. Ça vient avec le temps, et on sait que t’en as pas beaucoup. C’est pour ça qu’on t’a concocté l’explication de ouf qui suit ;)"

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"Mille pardons!" ou l''histoire sentimentale - Gustave Flaubert
- « Mille pardons ! » dit Frédéric, en lui saisissant la taille dans les deux mains.
- « Comment ? que fais-tu ? » balbutia la Maréchale, à la fois surprise et égayée par ces manières.
Il répondit :
- « Je suis la mode, je me réforme. »
Elle se laissa renverser sur le divan, et continuait à rire sous ses baisers.
Ils passèrent l’après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans la rue. Puis il l’emmena dîner aux Trois Frères Provençaux. Le repas fut long, délicat. Ils s’en revinrent à pied, faute de voiture.
A la nouvelle d’un changement de ministère, Paris avait changé. Tout le monde était en joie ; des promeneurs circulaient, et des lampions à chaque étage faisaient une clarté comme en plein jour. Les soldats regagnaient lentement leurs casernes, harassés, l’air triste. On les saluait, en criant : « Vive la ligne ! » Ils continuaient sans répondre. Dans la garde nationale, au contraire, les officiers, rouges d’enthousiasme, brandissaient leur sabre en vociférant : « Vive la réforme ! » et ce mot-là, chaque fois, faisait rire les deux amants. Frédéric blaguait, était très gai.
Par la rue Duphot, ils atteignirent les boulevards. Des lanternes vénitiennes, suspendues aux maisons, formaient des guirlandes de feux. Un fourmillement confus s’agitait en dessous ; au milieu de cette ombre, par endroits, brillaient des blancheurs de baïonnettes. Un grand brouhaha s’élevait. La foule était trop compacte, le retour direct impossible ; et ils entraient dans la rue Caumartin, quand, tout à coup, éclata derrière eux un bruit, pareil au craquement d’une immense pièce de soie que l’on déchire. C’était la fusillade du boulevard des Capucines.
- « Ah ! on casse quelques bourgeois », dit Frédéric tranquillement, car il y a des situations où l’homme le moins cruel est si détaché des autres, qu’il verrait périr le genre humain sans un battement de cœur.
La Maréchale, cramponnée à son bras, claquait des dents. Elle se déclara incapable de faire vingt pas de plus. Alors, par un raffinement de haine, pour mieux outrager en son âme Mme Arnoux, il l’emmena jusqu’à l’hôtel de la rue Tronchet, dans le logement préparé pour l’autre.
Les fleurs n’étaient pas flétries. La guipure s’étalait sur le lit. Il tira de l’armoire les petites pantoufles. Rosanette trouva ces prévenances fort délicates.
Vers une heure, elle fut réveillée par des roulements lointains ; et elle le vit qui sanglotait, la tête enfoncée dans l’oreiller.
- « Qu’as-tu donc, cher amour ? »
- « C’est excès de bonheur », dit Frédéric. « Il y avait trop longtemps que je te désirais ! »"

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"Mille pardons!" ou l''histoire sentimentale - Gustave Flaubert
I. La comédie amoureuse face à la farce de l’Histoire : le point de vue de Frédéric
(« Mille pardons ! … Frédéric blaguait, était très gai »)
1. L'hédonisme insouciant de Frédéric
L’extrait commence par une scène de badinage entre Frédéric et la Maréchale, son amante. Frédéric lui saisit la taille, ce qui est inconvenant pour l’époque et se justifie en disant qu’il réforme.
C'est une véritable comédie amoureuse : penchant de Frédéric au plaisir trahit un côté forcé du personnage, un air qu'il se donne (cf. sens du trait d'esprit « je me réforme »). Virilité feinte avec les manières légères et décomplexées : truculence de l'exclamation ironique couplée au geste audacieux que ne reconnaît pas l'interlocutrice (parallèle entre surprise et attraction).
Cette scène doit être lue en parallèle des évènements historiques qui se passent en même temps, avec la profonde réforme politique de 1848. Précisément décalage entre le vécu des personnages -plongés dans leur intrigue amoureuse- et les évènements qui voit l'Histoire basculer ; un couple uniquement préoccupé de ses plaisirs : démarche de séduction.
2. La fête politique
Le début du texte est marqué par le ton humoristique et truculent qui décide de voir l’Histoire comme une farce et non un évènement sérieux (à rebours de la presse de l'époque ou d'autres auteurs) : c'est par une atmosphère festive que se donnent à voir les bouleversements de février 1848.
Euphorie avec polyptote (changement/changé) doublé d'une personnification de Paris -liesse populaire où les foules communient dans la joie (multiplication des collectifs -« tout le monde », « des promeneurs », « la foule »- emploi du « on » général) avec air de fête -mention des lampions, des lanternes vénitiennes, des guirlandes ainsi que l'ivresse des officiers de la garde nationale (« rouge d'enthousiasme »).
Dans ce passage de l’extrait on voit la rue et la scène du point de vue des amants. C’est ce qui explique cette nonchalance et ce détachement : la comédie amoureuse teinte l’Histoire que l’on voit par sa fenêtre et qui devient une fête.
3. Une inconscience politique
La narration est donc marquée par un esprit de dérision, de réduction des significations éloquent : en particulier le trait d'esprit sur la réforme, au début, puis réactualisé à chaque occurrence dans la rue, dans son contexte politique propre -comme un désamorçage systématique d'une lecture politique de leur situation (« chaque fois »).
« Frédéric blaguait, était très gai », assonance en [è] avec absence de coordination et allongement (2 syllabes puis 3) comme un débit chevrotant un peu crétin, d'une naïveté plaisante ; de même précision triviale sur le restaurant (« Le repas fut long, délicat », décalage entre le sens -moment exquis- et la forme -brièveté elliptique).
II. La tragédie de l’histoire face au drame amoureux : la voix de Flaubert
(« Par la rue Duphot… C’était la fusillade du boulevard des Capucines »)
1. Une chronique de 1848 : Flaubert historien
Il s’agit d’un récit ancré dans l'Histoire des bouleversements de 1848.
« La réforme » du tout début fait référence à la décision de Louis-Philippe d'abandonner son ministre Guizot, jugé trop conservateur par les élites progressistes et le petit peuple des faubourgs parisiens, pour le Comte Molé (d'où le changement de ministère).
« Vive la ligne ! », référence à la troupe de ligne (armée régulière), et aux gardes nationaux -milice populaire de volontaires, héritage de la période révolutionnaire : le 22 février 1848, arbitrage de ces derniers entre émeutiers et soldats pour éviter le bain de sang (d'où la fatigue des soldats et la joie triomphale des gardes nationaux). La fusillade du boulevard des Capucines est un évènement précis qui a lieu à la suite d'un incident tragique (panique d'un officier à l'approche d'un homme muni d'une torche : 50 morts). Après cet épisode, le consensus autour de Molé et de la réforme tombe, dans tout Paris sont promenés les cadavres martyrs, le lendemain vers midi le pays des Tuileries est attaqué par les insurgés : c'est la fin de la monarchie orléaniste au pouvoir depuis 1830.
On le voit bien, malgré le badinage de Frédéric, il y a ici des références très précises à des évènements qui se sont effectivement produits. Ici ce n’est plus la voix de Frédéric qui se fait entendre, mais celle de Flaubert, qui relate l’Histoire telle qu’elle s’est produite, et non plus telle que la voit un couple en train de batifoler. Ce sont des termes objectifs qui sont employés (« baïonnettes », « fusillade ») avec un itinéraire exact (de la rue Duphot jusqu’aux Capucines).
2. Une distance flaubertienne
Pour autant, Flaubert ne fait pas œuvre d’historien, mais bien de romancier.
Il montre à son lecteur une distance narrative par rapport à l'évènement. Il règne ainsi une impression générale de confusion (« un fourmillement confus », « un grand brouhaha », « roulements lointains » comme une impossibilité de déchiffrer le sens de ces évènements). Les slogans sont lapidaires et au discours direct, sans grand sens pour témoigner de l’indifférence des soldats et de la saoulerie des officiers.
Effets de lumière métaphoriques : « une clarté comme en plein jour » comme un air de fausseté de ces réjouissances, « au milieu de cette ombre... des blancheurs de baïonnettes », comme l'anticipation de la violence à venir. Même principe d'évocation métaphorique : « craquement d'une immense pièce de soie », à la fois distance et décalage dans la perception de l'évènement mais acuité métaphorique -le tissu social s'est déchiré.
Cette distance culmine à la fin avec cette phrase très simple, lâchée comme un coup de tonnerre : « C’était la fusillade du boulevard des Capucines. » Constat distant et presque désintéressé, alors qu’il y aura 50 morts.
III. Quand la grande Histoire devient une histoire sentimentale
(« Ah ! on casse quelques bourgeois »… Il y avait trop longtemps que je te désirais ! »)
1. La duplicité tragique et médiocre de Frédéric exposée par Flaubert
La fin du passage mêle les deux voix que sont celles du narrateur et celle de son héros, Frédéric.
Frédéric, comme Flaubert juste avant, feint le détachement le plus total : « Ah ! on casse quelques bourgeois ». « Ah ! » est une interjection marquant une drôlerie déplacée. Puis « on casse quelques bourgeois » est un énoncé à la portée politique nulle (parlent-ils des bourgeois républicains ? Ou des bourgeois conservateurs ? Ou simplement des citoyens de Paris, par dérision ?). L’euphémisme familier de « casser » par raillerie contraste avec la réaction apeurée et grotesque de Rosanette.
Flaubert mêle ensuite sa voix avec la phrase à portée très générale : « il y a des situations où l’homme le moins cruel est si détaché des autres, qu’il verrait périr le genre humain sans un battement de cœur. » Flaubert caractérise son personnage, et le rend médiocre.
C’est que pour Frédéric, le vrai drame est ailleurs. Il n’est pas dans la rue où il y a des morts, mais en lui-même. Il est en train d’accomplir sa vengeance phantasmatique vis à vis de Mme Arnoux : insistance sur la rupture temporelle avec « alors », reformulation des motivations de Frédéric pour appuyer sa duplicité ; désignation dépréciative « l'autre » attestant le rejet affectif.
Enumération des objets puis point de vue de Rosanette comme si par sa duplicité le personnage de Frédéric devenait moins lisible. Successivement, sans grande cohérence, on passe de la joie devant les prévenances, au réveil nocturne et à la surprise de le retrouver en pleurs (rupture du point-virgule en dépit de la conjonction « et ») : dans le point de vue lacunaire de la dupée qu’est la Maréchale, le mensonge devient d'autant plus faux et pitoyable.
D'où la double lecture à rebours et voulue par Flaubert : « les fleurs » pas encore flétries, c'est aussi le désir pour Mme Arnoux, toujours vif et douloureux. Plus généralement articles définis trahissant une reconnaissance de ces objets, « préparés pour l'autre ». On voit donc que le drame personnel se mêle au drame historique, et que les voix de Frédéric et de Flaubert s’interpénètrent pour former un tout.
2. Un rôle contemplatif de l’auteur et de son héros
Flaubert souhaitait écrire une histoire sentimentale, qui permette de saisir une période par une certaine situation en termes de caractère moral : en fin de compte l'histoire amoureuse illustre et explique l'Histoire..
Non pas opposition mais complémentarité. Ici le détachement et la focalisation zéro. Cette distanciation du narrateur se retrouve dans son héros, Frédéric, qui a lui aussi une distance contemplative : le héros flaubertien manque l'action. Il ne fait pas l’histoire, il en est à peine le témoin, il y assiste tout au plus. Opposition du « peuple dans la rue » au couple « de leur fenêtre ». L’épisode de la fusillade est perçu dans le dos (« derrière eux »).
3. Une impuissance générationnelle
Mais plus qu’une distanciation, c’est aussi sentiment tragique de frustration et d'impuissance amoureuse qui est exprimé.
Il est illustré par l'ultime mensonge, qui sont comme des mots « préparés pour l'autre », ironiquement. C’est la conscience malheureuse de Frédéric qui ne se satisfait pas d'une vengeance phantasmatique (« en son âme » pour préciser la valeur de l'outrage) mais éprouve la douleur des regrets (l'amour perdu) et de la mélancolie (le souvenir de Mme Arnoux), notamment médiatisé par les objets et l'appartement qu'elle hante.
Ce motif de l’impuissance que nous décrit Flaubert dans Frédéric, c’est peut-être la représentation métaphorique de la IIème République, régime politique qui devait basculer dans un coup d'Etat aux termes d'un jeu de dupe (comme la relation amoureuse de Frédéric), où les progressistes républicains et socialistes allaient se retrouver bernés et impuissants. La génération de Frédéric est passive et impuissante, rêveuse et mélancolique.
In fine, le drame amoureux de Frédéric coïncide totalement avec le drame historique, presque ironiquement, vu que tout du long, Frédéric n’a eu de cesse de dénigrer les évènements extérieurs (partie I du commentaire) tout comme le narrateur (ici Flaubert) n’a eu de cesse de vouloir nous faire croire qu’il était détaché de toute l’action (partie II du commentaire).

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