La mort d'Hernani et de Dona Sol - Victor Hugo

      Hernani, c’est deux drames. Le drame de la pièce sur scène, et le drame de la bataille romantique dans la salle.

      Hugo c’est un romantique. Il veut casser les codes et les règles classiques (les trois unités : temps, lieu, action, ou comme le disait le king Boileau « Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli »).

      Hugo trouve que ces règles sont un carcan qui ne respecte pas la vraisemblance : il trouve ridicule l’unité de lieu, qui contraint l’action à se dérouler dans un « vestibule », de même que d’encadrer artificiellement le dénouement du drame en vingt-quatre heures. Au contraire de cette artificialité, Hugo veut que le drame romantique soit une « une peinture totale de la nature » qui doit mêler « grotesque et sublime ». Hugo a défini tous ces principes dans la préface de Cromwell, sorte de pièce injouable avec plus de 60 personnages et en 6000 vers (c’est plus une expérience qu’une vraie pièce : il fait péter toutes les règles !). L’idée de Hugo, c’est que le drame romantique doit être un drame populaire et qu’il a vocation à parler à tout le monde et pas à la seule aristocratie ou bourgeoisie.

      Bon, sauf qu’à l’époque, y a plein de monde qui n’est pas d’accord : ce sont les tenants du classicisme. Donc Hugo il veut organiser une méga battle, il veut faire un gros buzz avec la sortie de sa dernière pièce : Hernani. Lors des premières représentations, il ramène tous ses potes romantiques pour ambiancer la salle. Sauf que les rageux du classicisme sont aussi venus en masse pour siffler la pièce. Bref, c’est du gros WTF, ça cogne, et Balzac, venu soutenir les romantiques, ce serait pris un trognon de chou en pleine poire.

      La scène qui suit se situe à la fin de la pièce. On en a fini avec le drame politique, puisque Charles Quint est devenu bestah avec Hernani et est ok avec son union avec Doña Sol, devant un Don Ruy Gomez très très vénère. Tellement vénère que le vieux demande le respect du pacte funeste et exige la mort d’Hernani. C’est la mort héroïque des amants, l’un pour garder son honneur, l’autre pour le suivre. C’est le dénouement dans la mort, façon Roméo et Juliette et GoT, avec fiole de poison et pamoisons.

Pas encore inscrit sur Archiprof ? 🙈🙈🙈

👇 Par ici les tips et commentaires... 👇

Clique, et crée un compte pour te mettre bien !




La mort d'Hernani et de Dona Sol - Victor Hugo

Acte V, Scène VI

HERNANI

Duc, arrêtez !

A Doña Sol.

                       Hélas ! je t'en conjure,
Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ?
Veux-tu que partout j'aille avec la trahison
Ecrite sur le front ? Par pitié, ce poison,
Rends-le moi ! Par l'amour, par notre âme immortelle !...

DONA SOL, sombre.

Tu veux ?

Elle boit.

                  Tiens maintenant.

DON RUY GOMEZ, à part.

                                                   Ah ! c'était donc pour elle !

DONA SOL, rendant à Hernani la fiole à demi vidée.

Prends, te dis-je.

HERNANI, à don Ruy.

                               Vois-tu, misérable vieillard !

DONA SOL

Ne te plains pas de moi, je t'ai gardé ta part.

HERNANI, prenant la fiole.

Dieu !

DONA SOL

            Tu ne m'aurais pas ainsi laissé la mienne,
Toi ! Tu n'as pas le cœur d'une épouse chrétienne.
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais j'ai bu la première et suis tranquille. - Va !
Bois si tu veux !

HERNANI

                             Hélas ! qu'as-tu fait, malheureuse ?

DONA SOL

C'est toi qui l'as voulu.

HERNANI

                                        C'est une mort affreuse !

DONA SOL

Non. Pourquoi donc ?

HERNANI

                                        Ce philtre au sépulcre conduit.

DONA SOL

Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ?
Qu'importe dans quel lit ?

HERNANI

                                             Mon père, tu te venges
Sur moi qui t'oubliais !

Il porte la fiole à sa bouche.

DONA SOL, se jetant sur lui.

                                      Ciel ! des douleurs étranges !...
Ah ! jette loin de toi ce philtre ! - Ma raison
S'égare. Arrête! Hélas ! mon don Juan, ce poison
Est vivant ! ce poison dans le cœur fait éclore
Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore !
Oh ! je ne savais pas qu'on souffrît à ce point !
Qu'est-ce donc que cela ? c'est du feu ! Ne bois point !
Oh ! tu souffrirais trop !

HERNANI, à don Ruy.

                                      Oh ! ton âme est cruelle !
Pouvais-tu pas choisir d'autre poison pour elle ?

Il boit et jette la fiole.

DONA SOL.

Que fais-tu ?

HERNANI

                       Qu'as-tu fait ?

DONA SOL

                                               Viens, ô mon jeune amant,
Dans mes bras.

Ils s'asseyent l'un près de l'autre.

                        N’est-ce pas qu'on souffre horriblement ?

HERNANI.

Non.

DONA SOL.

          Voilà notre nuit de noces commencée !
Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ?

HERNANI

Ah !

DON RUY GOMEZ.

       La fatalité s'accomplit.

HERNANI.

                                             Désespoir !
O tourment ! Doña Sol souffrir, et moi le voir !

DONA SOL

Calme-toi. Je suis mieux. - Vers des clartés nouvelles.
Nous allons tout à l'heure ensemble ouvrir nos ailes.
Partons d'un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser !

Ils s'embrassent.

Pas encore inscrit sur Archiprof ? 🙈🙈🙈

👇 Par ici les tips et commentaires... 👇

Clique, et crée un compte pour te mettre bien !




La mort d'Hernani et de Dona Sol - Victor Hugo

I. La bravoure

(« Duc, arrêtez !... Sur moi qui t'oubliais ! ». )

      Dona Sol tient tête à Hernani : multiplication des impératifs, prières ou des formules pour la persuader -questions rhétoriques doubles avec anaphore, accumulation du v2 et invocation répétitive « par... » ; audace de l'autre qui boit -geste amplifié par la cassure de l'alexandrin.

      Dona Sol renverse la situation et ironise, à rebours d'Hernani : violence des exclamations d'Hernani qui prend à parti Don Ruy/prosaïsme de la réplique de Dona Sol qui parle du poison comme d'un plat à partager ; évocation de figures de tradition antique latine -Silva renvoie à Rhéa Silva, la mère de Romulus et Rémus, les frères fondateurs de Rome- ainsi que chrétienne, opposées à Hernani -isolement avec enjambement du v10 ; renversement de situation (accentué par la coordination d'opposition « mais ») : Dona Sol donne des ordres sur la fin de la réplique.

      Dona Sol se prête à l'élégance héroïque du sublime (cf définition de Rostand) avec un trait d'esprit pour évoquer la mort prochaine : forme interrogative pour une feinte naïveté, parallèle entre nuit de noces et mise au tombeau ; alors que l'un parle de la mort -champ lexical- l'autre contourne la chose en évoquant le mariage. Attitude de défi et supériorité héroïque dans la dénégation de la mort.

II. La douleur

(« Ciel ! des douleurs étranges !... Pouvais-tu pas choisir d'autre poison pour elle ? »)

      Toutefois dans un second temps, la douleur rattrape Dona Sol : réplique de 18 à 24 marquée par les ruptures syntaxiques, les phrases nominales, les interjections ou onomatopées avec exclamatives systématiques ; enjambements pour briser l'harmonie de l'alexandrin, v20, 21, 22 ; les apostrophes à l'intention d'Hernani pour créer un lien affectif ; aposiopèse ( points de suspension au coeur d'une phrase dont on laisse au lecteur le soin de l'achever ).

      Surtout tentative de partager la sensation de douleur en multipliant les formules métaphoriques : embarras devant l'indicible -d'où les déictiques : « à ce point », « cela » aux v22 et 23 comme quelque chose qu'on ne peut que désigner sans parvenir à mettre un nom dessus ; personnification au v21, amplifié par la surprise due à l'enjambement ; mention monstrueuse de l'hydre -créature aux têtes innombrables qui repoussent une fois coupées : registre épique souligné par l'exagération de « mille » ou le parallélisme de la structure syntaxique « qui...et qui... » comme un acharnement du mal ; métaphore du feu enfin.

      Rupture du coup de l'engagement dans la mort : Dona Sol témoigne de l'inconscience de son geste « je ne savais pas » et incite Hernani à ne pas boire, contrairement aux lignes précédentes -impératif de défense et emploi du conditionnel au v24. Cette désunion dans le spectacle de la souffrance pousse Hernani à se tourner vers Don Ruy avant de boire à son tour comme pour retourner à Dona Sol : dans la mort, s'unissent les amants.

III. L'amour

(« Que fais-tu ?... Un baiser seulement, un baiser ! »)

      Dans le geste qui conduit à la mort -le poison- renouent les deux amants : polyptote du v26, comme une symétrie parfaite entre les deux êtres d'où l'appel -impératif et apostrophe tragique avec « ô », puis enjambement pour souligner le geste des retrouvailles ; l'amour permet de transfigurer la douleur et la mort : cf jeu de question/réponse, longueur du 28, avec insistance de l'adverbe « horriblement », opposée à la brièveté de la réponse d'Hernani.

      Reprise du lien entre union maritale et imminence de la mort -à présent non plus sur un mode ironique mais profondément tragique et pathétique : Dona Sol insiste sur l'anormalité de la situation -question rhétorique et interjection « dis » ; d'où la réaction violente de Hernani, dont la parole s'étiole, se réduit au minimum -onomatopée du v31, la douleur devant la souffrance de Dona Sol prend le dessus sur son esprit ; déconstruction syntaxique du v32, groupes verbaux, non conjugués, accolés avec des exclamatives nominales.

      Mais là encore la désunion éprouvée dans le spectacle de la souffrance de l'autre se clôt sur la réplique finale de Dona Sol : évocation lyrique de la mort et de l'union éternelle des amants, quoique tragique -métaphore du vol et de la migration, celle des âmes évidemment. Mort captée au moment du baiser (avec répétition insistante) -cf. la fin de Roméo et Juliette.

Tu n'as pas le compte Premium !

Si tu souhaites mettre à jour ton compte, pas de problème !

Clique ici, et mets à jour ton compte (onglet : mon abonnement).

Pas encore inscrit sur Archiprof ? 🙈🙈🙈

👇 Par ici les tips et commentaires... 👇

Clique, et crée un compte pour te mettre bien !